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régis debray - Page 5

  • L’appartenance ethnique, au fondement des sociétés...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Cédric Bellanger, cueilli sur Polémia et consacré à la question taboue de l'appartenance ethnique...

     

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    L’appartenance ethnique, au fondement des sociétés

    Chaque société a ses tabous, surtout quand elle ne prétend pas en avoir. L’Occident hypermoderne a fort logiquement prohibé l’évocation de la question ethnique, qui est le démenti de son paradigme central, le triptyque rationalisme-individualisme-universalisme.

    Pourtant, la vigueur, osons dire l’hystérie, qui anime les gardiens dudit tabou indique la fébrilité des Occidentaux face à une réalité qu’aucune formule magique, qu’aucun volontarisme ne parviennent à éradiquer.

    Au fond, les simulacres de débats sur les questions dites de société comme la laïcité ou la délinquance ne sont que de longues et pénibles périphrases qui n’évoquent, tout le monde le sait, que la question ethnique, mais sans jamais prononcer le mot honni. L’admettre, même tacitement, c’est déjà reconnaître la nature et, partant, l’origine du problème.

    Intellectuels, experts, spécialistes ou publicistes tournent autour du pot, effleurent la question et au dernier moment se ravisent, y compris les plus lucides. De temps à autres, un téméraire ou un naïf propose une connexion, une causalité, qui peuvent prendre le nom d’islam ou d’immigration, pour se voir rétorquer les mots magiques : « amalgame », «stigmatisation». C’est ainsi que se prolongent indéfiniment les palabres républicaines.

    Les tabous, s’ils ont souvent leur utilité et leur raison d’être, voient parfois leurs fondements tellement sapés par la marche du Monde qu’ils deviennent un facteur de blocage potentiellement mortifère. Cette tendance à s’accrocher à des tabous obsolètes, à laquelle aucune civilisation ne peut prétendre se soustraire, s’explique aisément par la nécessité qu’ont les sociétés à élaborer un récit cohérent de leur devenir.

    Chaque société se pense en effet dans un champ relativement clos. La formulation d’une vision du monde, si complexe soit-elle, implique nécessairement la négation d’une portion de réel – ainsi, le marxisme a pu nier l’autonomie du religieux ou du culturel, vus comme simples reflets d’un ordre socio-économique. Le monde est trop complexe pour être embrassé totalement ; aussi, lorsque nous le pensons, nous trions, rejetons puis nions l’existence des éléments entrant en contradiction avec nos représentations. Bref, penser le monde, c’est, par le biais d’une narration linéaire et souvent unidimensionnelle, évacuer une part plus ou moins importante de ses composantes pour le rendre intelligible et par conséquent vivable.

    Indépassable limite de l’intelligence humaine !

    En cela, l’hyper-modernité occidentale ne déroge pas au schéma d’ensemble.

    Son moteur – le couple rationalisation/individualisation – suppose la négation de ce qui l’entrave : pas tant l’existence de groupes (la société au sens de Tönnies est avant tout perçue comme une association libre d’individus indépendants) que la survivance de communautés organiques, non choisies, qui s’imposent à l’individu car elles le précèdent, le déterminent et le perpétuent.

    L’individu-maillon communautaire n’a pas sa place dans la grande mythologie hyper-moderne, qui porte aux nues l’individu émancipé de tous les déterminismes, à l’identité rhizome, dont l’horizon ne peut être qu’universel. Or, à l’épreuve des vicissitudes de l’histoire, la résilience de telles communautés, essentiellement définies sur des critères ethniques, nous paraît incontestable : des éléments structurels l’expliquent.

    1/ L’ethnie, dans son principe comme dans sa réalité, ne se choisit pas et donc ne se défait pas.
    On peut adhérer à un système de croyances ou de représentations, puis s’en détacher. Il peut alors ne rester aucune trace de cette adhésion ; l’individu ne s’en trouve pas ontologiquement affecté, et l’adhésion audit système de représentations n’aura été qu’un moment, achevé et non structurant, dans l’existence longitudinale de l’individu. Au contraire, l’identité ethnique, qui est factuellement un lien de filiation, peut être défaite en pensée mais pas effacée irrémédiablement. Un individu peut bien nier radicalement son identité ethnique, la potentialité d’un retour à celle-ci demeure toujours possible. Aucun cliquet ne rend impensable sa résurgence.

    2/ L’ethnie est également prégnante car elle résiste aux mutations idéologiques. Elle n’obéit pas, contrairement aux religions et idéologies, à un régime de vérité : une foi ou une théorie peuvent tomber en déshérence, pas une filiation qui contient en elle toute sa vérité. Ainsi, elle survit au temps court de l’histoire, aux idéologies, aux utopies : soixante-dix ans de communisme n’ont pas éteint l’âme russe, et en soixante ans, c’est la Chine qui a absorbé le maoïsme – le retour à Confucius ou à l’orthodoxie (qui est un christianisme national à forte valeur identitaire) en témoignent.
    Presque immobile du point de vue des sociétés historiques, l’appartenance ethnique est le seul ferment identitaire qui ne peut s’épuiser tant que le peuple vit biologiquement.

    3/ C’est que l’ethnie correspond à un ensemble complet de référents qui intègre le corps et l’esprit : loin de se limiter à une noosphère éthérée, elle se lit sur la peau, sur le visage, dans l’ADN – autant de traces indélébiles qui, à défaut d’être structurantes en elles-mêmes (le sait-on vraiment ? peu importe) peuvent toujours être réactivées comme un signe incontestable et fixe (à notre échelle temporelle) d’appartenance. On observe la puissance de ce référent visuel qu’est le phénotype dans la tendance à l’ethnogenèse des minorités noires issues de l’esclavage dans le Nouveau Monde, coupées de leurs racines culturelles (langues, religions, systèmes de parenté…) mais qui re-forment un groupe ethnique (et pas seulement racial) par une appropriation détournée des codes sociaux majoritaires. D’où leur propension à se tourner vers une religion tout aussi minoritaire, comme l’illustre le succès des Églises évangéliques – voire d’un l’islam racialisé – chez les populations noires d’Amérique et des Antilles. Ici, la race (disons, le phénotype) va de pair avec l’ethnicisation, processus auquel le religieux semble soumis (car sur le fond, rien ne justifie, d’un point de vue théologique, l’existence de communautés religieuses « noires »).

    4/ Aussi, l’appartenance ethnique conserve sa primauté car elle repose sur des liens de sociabilité plus solides que les autres, ayant pour cadre la famille (rappelons que l’appartenance ethnique est avant tout un fait de filiation). Les liens familiaux – parenté large ou étroite – ont comme force de ne pas relever d’un choix. On ne change pas de famille comme de parti. La famille est en outre une structure au fonctionnement relativement consensuel, dont l’organisation tend à atténuer la conflictualité inhérente aux relations sociales, ce qui la rend plus solide et durable. Bref, tant que la famille, sous des formes variées, reste la cellule de base de l’existence d’un peuple, l’identité ethnique n’est pas irrévocablement menacée, et peut toujours ressurgir.

    5/ Enfin, on devine un trait commun aux quatre points évoqués, qui les explique, les résume et leur donne toute leur perspective : l’appartenance ethnique est prégnante, incroyablement résiliente, car elle se situe dans le domaine de l’immanence. Elle ne se définit pas donc ne se contredit pas ; en deçà et au-delà de l’intellectualité, elle ne peut être réfutée sur la base d’arguments rationnels. Les origines des peuples se dérobent à la connaissance scientifique ; il est donc parfaitement vain d’en railler le caractère mythique. Cette absence de définition notionnelle et empirique précise explique la grande plasticité du fait ethnique, qui lui permet de se fondre dans un moule et d’en changer quand celui-ci est brisé : un sentiment ethnique peut se loger dans une idée (nationale, religieuse, politique) jusqu’à paraître dominé par celle-ci, mais presque toujours il lui survivra. La succession des rhétoriques anti-impérialistes des anciennes colonies, tour à tour nationaliste, socialiste ou religieuse, l’illustre de façon implacable.

    Par-delà les thématiques a perduré l’expression du particularisme ethnique de groupes qui ne veulent ni ne peuvent être dissous.

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    *  *

    Au final, si nous arrivons à la conclusion que l’appartenance ethnique prime sur les autres, et qu’elle contribue au maintien des solidarités organiques en dépit du processus d’atomisation sociale qui caractérise l’hypermodernité, c’est qu’elle définit un nous cohérent et un eux bien délimité. L’existence d’une frontière entre les deux entités est une nécessité anthropologique absolue ; pour reprendre la métaphore de Régis Debray, cette frontière, qui peut être visible ou invisible, est aux sociétés ce que la peau est au corps : une protection, un filtre et une interface.

    L’hypermodernité prétend se passer de cette frontière et de son contenu comme éléments structurant la vie sociale ; un monde d’individus faisant société, harmonieusement, par des choix rationnels libres et consentis en est la finalité. Le spectacle du monde laisse perplexe quant à la réalisation de ce dessein.

    Cédric Bellanger (Polémia, 28 février 2016)

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  • « Ce n’est pas la proximité qui rend populaire, c’est la hauteur et la grandeur » ...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à François Hollande et à la désacralisation du politique...

     

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    « François Hollande aurait fait un très bon marchand des quatre-saisons »

    C’est devenu un gag récurrent : chaque nouveau Président parvient à nous faire regretter son prédécesseur. Avec François Hollande, on a atteint le fond, non ?

    Contrairement aux commentateurs qui le couvrent d’injures (se défouler en éructant est le meilleur moyen de faire savoir qu’on n’a rien à dire), je ne parviens pas à détester François Hollande. Je me désole de le voir occuper le poste qui est le sien, mais sur le personnage lui-même, je n’ai rien à dire. Il aurait sans doute pu faire un convenable receveur des postes, un directeur de succursale d’une société d’assurances, un marchand des quatre saisons. En tant que premier secrétaire du PS, il n’a pas été pire qu’un autre : dans les magouilles et les petites blagues, il a toujours été à son affaire. Le seul problème est que ce personnage insignifiant est président de la République.

    Depuis Pompidou, Mitterrand excepté, la fonction de chef de l’État n’a cessé de se dégrader. Il n’y a plus de chefs, et il n’y a guère plus d’État. La comparaison est certes facile, mais on imagine évidemment mal le général de Gaulle aller faire du jogging en suant à grosses gouttes sous un tee-shirt aux armes de la police new-yorkaise, ou partant en scooter pour aller rejoindre sous la couette une pom-pom girl du show-business. Un chef de l’État doit avoir conscience qu’il n’est pas seulement lui-même, mais qu’il incarne une fonction. Qu’il se discrédite lui-même passe encore, qu’il rabaisse sa fonction est impardonnable. L’homme et sa fonction sont deux choses différentes, et c’est la fonction qui doit l’emporter.

    Cela pose la question de savoir ce que l’on est en droit d’attendre de la part d’un chef de l’État.

    Dans ce domaine, qu’on soit en monarchie ou en république, on en revient toujours à ErnstKantorowicz et à sa célèbre thèse sur Les Deux Corps du roi. Bien sûr, on n’attend plus du chef de l’État qu’il guérisse les écrouelles, mais au moins qu’il soit conscient de ce qu’il incarne, à savoir cette fonction souveraine qui le met en position de diriger une nation, c’est-à-dire un peuple singularisé par son histoire. Quand on incarne une telle fonction, on ne va pas parler à la télévision dans des émissions de « divertissement », on ne joue pas au « type sympa » et on apprend à nouer sa cravate ! On respecte la fonction qu’on incarne, et on s’applique à la faire respecter. Or, le pouvoir n’est respecté que s’il garde une dimension de sacralité. Même dans une république laïque, même dans une société sortie de la religion, il reste une appétence pour le sacré, d’abord parce que tous les grands thèmes politiques modernes sont d’anciens thèmes religieux qui ont été rabattus sur la sphère profane, ensuite parce que les hommes obéissent à tout sauf à des choix rationnels. La sacralité du pouvoir est, au même titre que le suffrage populaire, le fondement de la légitimité.

    Mais cette dégradation est allée significativement de pair avec le déclin du politique. Cerné par l’économie, par la morale des droits de l’homme, par les diktats de l’expertocratie, le politique décline. Et c’est l’impolitique qui règne. François Hollande n’est pas seulement un homme inculte, qui n’est même pas capable d’articuler une phrase en français correct, c’est un homme qui ignore aussi ce qu’est la politique. Il l’ignore parce que les notions de mythe collectif, de marche du monde, de sens historique, lui sont étrangères. Tout comme ses prédécesseurs, il ne sait pas que la politique est tragique. Ou plutôt qu’elle l’était. Car la politique est aujourd’hui devenue comique. La grande erreur des politiques est de croire qu’ils seront d’autant plus populaires qu’ils apparaîtront « comme tout le monde », alors que c’est exactement l’inverse. Ce n’est pas la proximité qui rend populaire, c’est la hauteur et la grandeur. Ce n’est même pas d’être aimé, c’est d’être admiré. Pour être admiré, il faut faire de grandes choses. Et pour faire de grandes choses, il faut être en surplomb.

    C’est-à-dire ?

    Dans l’entretien exclusif qu’il vient d’accorder à la revue Éléments, Patrick Buisson dit à merveille ce dont il s’agit quand il se moque de « Hollande disant : si le chômage ne recule pas, je ne me représenterai pas. La belle affaire ! Il montre par là qu’il n’a rien compris à ce qu’est la puissance politique du mythe dans l’Histoire […] Les mythes sont les agents de l’Histoire, ils font l’élection. Pas l’économie. »

    Régis Debray rappelait récemment que « la conscience historique, c’est l’essence de toute grande politique ». Mais cette notion même de grande politique est totalement étrangère à la classe politique au pouvoir, qui ne connaît que la météorologie électorale, la politicaille et les « petites phrases » qui font du buzz, et qui ne raisonne plus qu’en termes de « communication » et d’« image » parce qu’elle croit qu’on peut remplacer l’autorité par la séduction. « Chacun sait, ajoutait Debray, que nos décideurs ne décident plus rien, que nos élus n’ont plus de prise sur le cours des choses, que l’art de gouverner consiste à faire semblant […] La fin du politique est ce qui fait époque en Europe. » La politique, ce n’est pas la discussion sur les 35 heures ou sur le statut des fonctionnaires, ce n’est même pas la croissance ou le chômage. La politique, c’est le regard perçant et l’esprit de décision, les grands projets collectifs, le sens du moment historique, la claire perception d’un sujet historique. La politique, ce n’est pas l’avenir, c’est le destin. Allez parler de « destin d’un peuple » à François Hollande ! Tous les hommes politiques sont aujourd’hui des intermittents du spectacle.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 15 octobre 2015)

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  • Espionnage américain: une indignation française à géométrie variable...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Philippe Migault, cueilli sur le site de l'agence d'information russe Sputnik et consacré à l'espionnage des présidents de la République français par la NSA...

    Philippe Migault est directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et stratégiques (IRIS).

     

     

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    Espionnage US: une indignation française à géométrie variable

    La révélation de la mise sous écoute de trois Présidents de la République française, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, fait scandale en France. Pourtant, n'en doutons pas, la colère élyséenne sera sans lendemains.

    Evidemment François Hollande a fait un geste fort en convoquant ce matin le Conseil de Défense. Cette instance ne se réunit habituellement que dans des circonstances particulièrement graves: attentats, opération des armées françaises à l'étranger… Mais les déclarations des autorités françaises, qui condamnent des « faits inacceptables entre alliés », ne doivent pas faire illusion. Il n'y aura pas même de brouille franco-américaine.

    D'une part parce que nous sommes sans aucune illusion vis-à-vis de nos « alliés ». En 2012 déjà, la France a demandé des comptes à la NSA américaine, soupçonnée d'avoir infiltré les ordinateurs de l'Elysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La DGSE et l'Anssi (Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Informations) avaient demandé à la NSA de s'expliquer. Celle-ci avait nié ses responsabilités sans convaincre personne.

    D'autre part, parce que nous sommes mal placés pour donner des leçons. Que s'imagine-t-on? Que les services français sont exemplaires? Ils recrutent la fine fleur des mathématiciens et des spécialistes en cryptologie: ce personnel d'exception n'est pas là à des fins strictement défensives. Les capacités d'écoute françaises sont connues et reconnues par tous les services de renseignement dans le monde et sont un sujet légitime de fierté pour la France.

    Par ailleurs, comme le déclarait ce matin François Heisbourg, Conseiller au Président de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), semblant trouver la situation parfaitement banale, les Américains pratiquent ces écoutes tout simplement parce qu'ils en ont les capacités et qu'ils interceptent donc toutes les communications téléphoniques ou informatiques qui ne font pas l'objet d'une protection de très haut niveau.

    Mais c'est là, dans le ton employé par François Heisbourg, que le bât blesse: en résumé, oui les Américains nous espionnent, nous sommes au courant, pas de quoi fouetter un chat… Si M. Heisbourg, en tant que spécialiste des questions stratégiques, a parfaitement raison sur le fond, sa réaction un tantinet fataliste est révélatrice d'un état d'esprit largement répandu en France: l'indignation à géométrie variable. Ces Français, qui acceptent quasiment comme une évidence l'espionnage des Américains, hurleraient à la mort s'ils découvraient que la Russie en fait le dixième.

    Libération, Mediapart, qui ont révélé les écoutes de la NSA visant les Présidents français, ont publié des articles sur les « réseaux Poutine en France ». Au terme d'une enquête bâclée, Libération a titré en octobre dernier sur le « Tsar système », joyeux inventaire à la Prévert dans lequel l'auteur de ces lignes était nommément mis en cause parmi les supposés agents stipendiés du Kremlin en France.

    Libération, dans la foulée de sa Une sur les écoutes de la NSA va-t-il maintenant mener une enquête portant sur les réseaux américains en France? Va-t-il évoquer les relais parisiens des think-tanks américains néoconservateurs, Hudson Institute et autres? Va-t-il demander aux services de contre-espionnage français qui sont les plus actifs en France entre les agents de renseignement russes et Américains? Va-t-il faire le point avec les spécialistes de la cyberguerre sur les attaques ou les tentatives de pénétration visant des entreprises stratégiques et des administrations françaises, lesquelles sont loin de d'être majoritairement russes et chinoises comme on se l'imagine fréquemment? Va-t-il dresser la liste des experts, journalistes, hommes politiques, leaders d'opinion qui, méthodiquement, relaient l'influence américaine et clouent au pilori médiatique tous ceux qui ne sont pas Atlantistes forcenés ni fervents partisans du TTIP? Va-t-il dresser la liste des titres de presse français qui comptent parmi leurs actionnaires des Américains? Quant à Mediapart, dont on ne peut que louer la pugnacité, va-t-il à présent faire le point sur les raisons pour lesquelles nous acceptons sans trop sourciller l'espionnage américain, sur les agents d'influence à l'œuvre dans les formations politiques, l'administration, les entreprises, les différents centres de réflexion?

    Non, sans doute. On n'enquête que sur ce qui est caché. Or cette mainmise de l'Amérique sur la France est de notoriété publique. L'ultime acte d'indépendance de la France a été de refuser de suivre les Américains en Irak en 2003, les spécialistes sérieux étant parfaitement conscients à l'époque que l'excuse des armes de destruction massive relevait de la manipulation. Nous sommes depuis rentrés dans le rang, « dans le troupeau Occident » comme le résumait récemment Régis Debray. Notre retour au sein du haut commandement intégré de l'OTAN sous l'égide de Nicolas Sarkozy, notre résignation face aux sanctions américaines visant BNP-Paribas, notre obéissance à Washington dans le cadre du dossier Mistral, démontrent que la domination américaine n'est pas subie, mais voulue par les principaux dirigeants politiques français. L'accès de colère de François Hollande et de son gouvernement sera considéré à cette aune par les Américains. Le simple mouvement d'humeur d'un vassal qui ne veut pas se déconsidérer vis-à-vis de son opinion publique.
     
    Philippe Migault (Sputnik, 24 juin 2015)


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  • Quand le Comité Orwell veut relancer le débat...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alexandre Devecchio, cueilli sur Philitt et consacré à la création du Comité Orwell. Alexandre Devecchio est journaliste au Figaro et responsable des pages Figaro Vox.

    On observera avec intérêt dans les mois à venir avec qui le Comité Orwell s'autorisera à débattre...

     

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    Alexandre Devecchio : « Le Comité Orwell est prêt à débattre avec tous ceux qui représentent une vraie sensibilité dans le pays »

    Alexandre Devecchio est journaliste. Il est en charge du Figaro Vox, la plate-forme débat/opinion du Figaro.fr. Avec une poignée de confrères, il est à l’origine de la fondation du Comité Orwell, une association qui a pour but de réinjecter du pluralisme dans la sphère médiatique.

    PHILITT : Vous avez choisi de mettre votre association sous le patronage d’Orwell. Pourquoi cet auteur en particulier ?

    Alexandre Devecchio : Nous avons choisi le célèbre auteur du roman d’anticipation 1984 parce que c’est un journaliste et un intellectuel qui s’est distingué par son refus absolu de tout manichéisme. Orwell ne se laissait jamais enfermer dans une case. Il était bourgeois mais proche des gens ordinaires, athée et pourtant attaché aux valeurs éthiques de la religion, défenseur des valeurs traditionnelles et néanmoins désireux de bousculer l’ordre social, patriote et révolutionnaire, anarchiste et conservateur. C’est un oxymore à lui tout seul et un formidable empêcheur de penser en rond. Comme le dit Jean-Claude Michéa dans son essai  Orwell, anarchiste tory : « Orwell était un des analystes les plus lucides de l’oppression totalitaire sans pour autant renoncer en rien à la critique radicale de l’ordre capitaliste, un défenseur intransigeant de l’égalité sans souscrire aux illusions progressistes et modernistes au nom desquelles s’accomplit désormais la destruction du monde. »

    Orwell est à des années-lumière de la vision binaire et de la culture du clash qui divisent le monde entre la gauche et la droite, entre les bien-pensants et les mal-pensants, entre les anti-racistes et les racistes. Il aurait vomi notre système politico-médiatique hémiplégique où les opposants au mariage homosexuel, qui pour la plupart se battent contre la marchandisation de la vie, se voient taxés d’homophobie, voire de fascisme. Où on ne peut pas se permettre de critiquer l’islamisme sans être accusé d’islamophobie et, où dans le même temps, on est obligé de se sentir Charlie sous peine d’être renvoyé dans le camp des terroristes.

    PHILITT : Pourquoi ne pas avoir choisi un Français ? Péguy aurait fait l’affaire.

    Alexandre Devecchio : La fondation Marc Bloch, qui était présidée par Élisabeth Lévy, nous a beaucoup inspirés. Cependant, nous ne voulions pas faire exactement la même chose. Charles Péguy est aussi un auteur que nous admirons énormément. Mais le nom  d’Orwell s’est imposé assez naturellement. C’est sans doute l’auteur contemporain qui a le mieux pressenti les conséquences de la mondialisation. Et le fait qu’il ne soit pas Français et Britannique de surcroît est assez ironique. C’est un beau pied de nez à ceux qui chercheraient à nous enfermer dans le parti du « repli » ou de la « France rance ».

    PHILITT : Dans quelle mesure le monde dans lequel nous vivons ressemble à celui décrit par Orwell dans 1984 ?

    Alexandre Devecchio« Le parti finirait par annoncer que 2 et 2 font 5, il faudrait le croire. L’hérésie des hérésies était le sens commun », écrit Orwell. 1984 nous plonge dans un monde totalitaire gouverné par un Big Brother qui s’insinue dans les consciences. Le crime de la pensée est passible de mort, et la réalité dictée par la novlangue d’un parti unique et par son ministère de la Vérité. Dans le monde d’Orwell, les nations ont été abolies, il reste trois blocs uniformes qui font semblant de s’affronter en permanence : Océania, Eurasia et Estania. Le but est de créer un homme nouveau et docile, affranchi de tous les déterminismes et donc plus malléable. Big Brother déclare fièrement : « Nous avons coupé les liens entre les enfants et les parents, entre l’homme et la femme. »

    À l’époque, les lecteurs ont vu dans 1984 une critique des régimes soviétiques et nazi. Pourtant en relisant Orwell aujourd’hui, nous avons l’impression d’y retrouver certaines caractéristiques de notre époque. La globalisation, qui pourrait encore être accentuée par les nouveaux traités économiques, a  fait émerger un monde hors-sol, uniforme et post-national proche de celui imaginé par l’écrivain. Le consumérisme a fait de l’individu le petit homme déraciné dont rêvait Big Brother.

    PHILITT : N’est-il pas excessif de penser que nous vivons dans une époque totalitaire ?

    Alexandre Devecchio : Le totalitarisme peut renaître sous de nouvelles formes très différentes du communisme et du nazisme. Le danger qui guette l’Occident est celui d’un totalitarisme soft, celui du marché, de la technique et des normes qui transforment petit à petit l’individu libre en un consommateur docile et passif. Ce totalitarisme a ceci de singulier qu’il ne s’impose pas par la force, même si la loi du marché peut être très brutale. Il fait de l’homme l’esclave de ses propres pulsions. C’est plus pernicieux, plus sournois, mais non moins efficace. L’autre menace, c’est l’islamisme qui se nourrit justement du désert des valeurs de l’Occident consumériste. Au comité Orwell, nous pensons qu’il y a un chemin à trouver entre le progressisme des imbéciles et l’archaïsme des ayatollahs, entre l’homme nouveau sans racines ni nation et le retour du fanatisme, entre la femme objet et la femme grillagée.

    PHILITT : Le Comité Orwell déplore l’unanimisme médiatique. Comment redorer le blason de la profession ?

    Alexandre Devecchio : À notre modeste échelle, nous allons commencer par répondre à la centaine de courriers que nous avons reçue de la part de gens ordinaires qui ne se sentent plus représentés par les médias. Hormis les colloques et les conférences que nous allons faire par la suite, nous organiserons assez rapidement des rencontres pour échanger à propos de notre métier. Les gens veulent comprendre ce décalage entre leur vie réelle et ce qu’ils lisent dans les médias. Il faut être à l’écoute. La force d’Orwell justement, c’est qu’il puise son inspiration dans l’expérience vécue. Quand il écrit Le Quai de Wigan sur la condition ouvrière britannique, il le fait après avoir visité trois fois une mine à Wigan. On va m’accuser de faire de la démagogie, mais je pense que certains journalistes devraient faire un stage  à l’usine. Cela modifierait leur regard sur la société.

    PHILITT : Et concernant plus particulièrement les jeunes journalistes ?

    Alexandre Devecchio : Nous devons faire preuve d’esprit critique et avoir une vision moins techniciste du métier que celle qu’on nous enseigne dans les écoles de journalisme. Notre métier ne consiste pas à recopier des dépêches AFP comme les personnages de 1984 recopient les tracts du parti dans la novlangue officielle. Mais je ne veux pas être manichéen non plus : les journalistes, les jeunes en particulier, comme le reste de la société, évoluent dans un contexte économique difficile où la lutte des âges et des classes est féroce. Même s’ils le voulaient réellement, les jeunes journalistes ne pourraient pas toujours faire assaut de liberté. Enfin, il faudra s’interroger sur les conséquences de la révolution numérique, qui aurait pu être synonyme de davantage de démocratie, et qui pour l’heure marque avant tout le triomphe de l’ère du vide.

    PHILITT : Vous êtes particulièrement sévères avec les médias et leurs méthodes de diabolisation. Sachant que ceux qui critiquent la diabolisation sont souvent à leur tour diabolisés, considérez-vous le Comité Orwell comme une entreprise risquée ?

    Alexandre Devecchio : Nous ne sommes pas des héros. Le petit agriculteur qui se bat pour préserver notre art de vivre est mille fois plus courageux que nous. Il est vrai cependant que le clergé médiatique pratique une sorte d’inquisition à l’encontre de ceux qui s’éloignent des dogmes en vigueur. Celle-ci peut être synonyme de mort sociale et professionnelle. Longtemps, une minorité silencieuse et atomisée a choisi de réprimer « ses pensées déviantes ». Mais des hérauts de la liberté d’expression comme Jean-François Kahn, Éric Zemmour, Élisabeth Lévy, Natacha Polony, présidente du Comité Orwell, ou le regretté Philippe Cohen ont montré la voie en refusant de céder à la logique de la terreur. Le soutien populaire dont ils ont bénéficié leur a permis de continuer à exister malgré les oukases. Je crois que rien ne sera plus jamais comme avant. Grâce à la puissance des réseaux sociaux notamment, la nouvelle génération se sent moins isolée que la précédente. Forts du sentiment que nous ne marcherons plus jamais seuls, comme chantent les supporters de Liverpool, nous n’avons pas l’intention de baisser la tête.

    PHILITT : Natacha Polony était récemment sur France Inter et la journaliste qui l’interrogeait lui faisait remarquer : « Vous vous plaignez d’être marginalisés, mais regardez les néo-réacs sont partout ». Que répondez-vous à ça ?

    Alexandre Devecchio : D’abord, je préfère le terme d’ « insoumis » à celui de « néo-réac ». L’utilisation de cette expression connotée montre déjà une certaine forme de partialité de la part de la journaliste en question. Mais peu importe : au Comité Orwell, nous revendiquons une certaine subjectivité. Encore faut-il que cette dernière soit clairement affichée et ne prenne pas les atours de l’objectivité. Avec l’émergence des réseaux sociaux qui permettent aux citoyens de réagir en temps réel, la censure ne peut plus s’exercer de manière aussi brutale que par le passé. Mais nous sommes loin d’ « être partout ». Prenons l’exemple le plus symbolique : celui d’Éric Zemmour, même si nous ne partageons pas forcément toutes ses idées. Il a dû quitter France 2 et plus récemment I-Télé. Bien que minoritaire dans le peuple, l’idéologie dominante reste majoritaire dans la technostructure, chez les élites. Les gens qui partagent notre diagnostic demeurent rares dans les ministères, la haute fonction publique, les grandes entreprises, et bien sûr les médias.

     PHILITT : À vos yeux, le référendum de 2005 sur la Constitution européenne a entériné la fracture entre le peuple et les élites. Est-il possible de réunir ce qui a été séparé et, si oui, comment ?

    Alexandre Devecchio : Il faut commencer par respecter le vote des Français. C’est le minimum en démocratie. Ensuite, au risque de me répéter et de me faire taxer de populiste, renouer avec le bon sens populaire, ce qu’Orwell appelait « la décence commune », me paraît incontournable. Les élites politiques et médiatiques doivent descendre de leur tour d’ivoire. Sans quoi, la fracture deviendra une rupture et ceux qui restent sourds et aveugles aujourd’hui accuseront demain le peuple français d’être envieux et animé par de bas instincts. Mais n’est-il pas logique que l’incompétence conjuguée à l’injustice, à l’arrogance et au mépris nourrissent le ressentiment et la colère ?

    PHILITT : Un de vos objectifs consiste-t-il à réhabiliter la notion de souveraineté, constamment renvoyée à cet épouvantail fatigué qu’est le FN ? S’agit-il de défendre la souveraineté populaire ou la souveraineté nationale ?

    Alexandre Devecchio : Les deux sont indissociables. La souveraineté populaire ne peut s’exercer que dans le cadre de l’État-nation. La dissolution de celui-ci, dont rêvent certains, entraînerait également la disparition de la démocratie. Bien que révolutionnaire, Georges Orwell était patriote et savait bien que l’attachement des  gens ordinaires à la nation n’est pas synonyme de haine de l’Autre.

    Pour ce qui est du FN, je citerai de nouveau Orwell : « L’argument selon lequel il ne faudrait pas dire certaines vérités car cela « ferait le jeu » de telle ou telle force sinistre est malhonnête en ce sens que les gens n’y ont recours que lorsque cela leur convient personnellement. Sous-jacent à cet argument, se retrouvent habituellement le désir de faire de la propagande pour quelques intérêts partisans et de museler les critiques en les accusant d’être objectivement réactionnaires », écrit-il. Le parti de Marine Le Pen est un diable bien pratique, peut-être le meilleur allié du système qu’il prétend pourfendre. En effet, depuis des décennies, toutes les autres alternatives sont systématiquement assimilées au FN et accusées de faire son jeu.

    Nous sommes une association non partisane. Régis Debray dans un récent entretien à l’hebdomadaire Marianne déclarait, « le citoyen, c’est l’homme sans étiquette ». Cela pourrait résumer notre démarche. Le débat entre les marques que sont Les Républicains, le PS et le FN ne nous intéresse pas. Nous préférons le débat d’idées.  Si certains préfèrent avoir tort avec Sartre que raison avec Aron, nous préférons avoir raison avec Aron que tort avec Sartre, ou raison avec Onfray que tort avec BHL. Le fait que Marine Le Pen défende le protectionnisme ou la laïcité ne nous empêche pas de mener également ces combats. De même, quand José Bové critique les dérives de la GPA, nous ne nous interdisons pas d’applaudir des deux mains.

    PHILITT : Vous vous proposez de réinjecter une dose de pluralisme dans le débat d’idées. Votre rôle consistera-t-il à donner la parole à des gens qui ne sont pas sur la ligne du Comité Orwell ?

    Alexandre Devecchio : Je parlais des excommunications tout à l’heure… Nous sommes de bons chrétiens, nous dialoguerons donc avec tout le monde. Nous n’allons pas débattre entre nous. Cela commencera sans doute à la rentrée par un premier colloque sur le thème du journalisme.

    PHILITT : Jusqu’où êtes-vous prêt à aller dans le pluralisme ?

    Alexandre Devecchio : Nous sommes prêts à débattre avec tous ceux qui représentent une vraie sensibilité dans le pays et qui ont de vraies convictions.  Et si nous ne sommes pas d’accord, ce sera l’occasion de le dire avec force et d’exposer nos arguments. Nous n’avons pas peur du débat. Ce que nous refusons, en revanche, c’est l’interdiction de penser autrement.

    Alexandre Devecchio, propos recueillis par Matthieu Giroux (Philitt, 14 juin 2015)

     

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  • Réforme du collège : les raisons de la rébellion...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'un entretien donné par François-Xavier Bellamy à l'hebdomadaire La Vie, et consacré à la réforme des collèges.

    Agrégé de philosophie, François-Xavier Bellamy a récemment publié Les déshérités (Plon, 2014).

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    Réforme du collège : les raisons de la rébellion

    Que pensez-vous de la réforme du collège ?

    Cette réforme manifeste une incapacité à répondre au problème essentiel que rencontre notre système éducatif. Les « experts » qui fixent ces directives n’ont probablement pas mis les pieds en classe depuis longtemps ; et ce projet trahit leur décalage immense d’avec la réalité du terrain.

    Le problème est bien identifié en effet : c’est celui de la maîtrise des fondamentaux, très déficiente pour beaucoup d’élèves. Chaque année, le test de lecture réalisé à l’occasion de la Journée de Défense et de Citoyenneté montre que 18 à 20 % des jeunes français, à 18 ans,rencontrent des difficultés majeures pour lire et écrire leur propre langue. Et on nous propose une réforme des programmes de français dans lequel le mot de « grammaire » ne figure même pas Au lieu de se donner simplement pour objectif la maîtrise de la lecture et de l’écriture, les nouveaux programmes visent pompeusement l’apprentissage des « langages », parmi lesquels le français, mais aussi, pêle-mêle, deux langues vivantes, les « langages du corps », ou encore le code informatique, qui devra être enseigné dès le CE1 !

    Les concepteurs de ces programmes vivent au pays des rêves. Si tous nos élèves savaient lire et écrire correctement le français, on pourrait s’offrir le luxe de leur enseigner le code informatique. Mais à l’heure actuelle, c’est donner le superflu à ceux qui manquent cruellement de l’essentiel. Cela revient à offrir des petits fours aux victimes d’une catastrophe humanitaire… Tout cela est absurde et tragique.

    Vous étiez sur France Inter le 16 avril pour défendre l’enseignement du latin et du grec. Pourquoi ?

    La Ministre de l’Education Nationale nous dit que l’option langues ancienneconcerne assez peu d’élèves pour pouvoir être supprimée. Mais cette option est choisie aujourd’hui par 20 % de collégiens : si l’on supprimait les partis politiques qui recueillent moins de 20 % des voix, beaucoup n’existeraient plus, à commencer par celui de la Ministre ! Lorsque les classes de latin sont fermées, c’est souvent faute d’enseignant plutôt que d’élèves. D’ailleurs, contrairement aux idées reçues, le département où le latin s’est le plus développé ces dix dernières années, c’est la Seine-Saint-Denis : quand la maîtrise du français est fragile, les langues anciennes sont une ressource très efficace. Encore faut-il qu’on puisse les apprendre... Affirmer qu’un « enseignement pratique interdisciplinaire » pourra remplir ce rôle, c’est un mensonge absolu : rien ne dit que les « cultures de l’antiquité » incluront l’apprentissage du grec et du latin. Il faudra de toutes façons impliquer une autre matière, l’histoire, ou l’éducation artistique. On y fera des exposés sur les temples et les pyramides, mais rien qui corresponde vraiment à l’enseignement de ces langues qui ont pourtant fondé notre civilisation.

    À la place des classes bi-langues dont seule une minorité bénéficie, le Ministère introduit deux langues vivantes en 5ème. Qu’en pensez-vous ?

    Là encore, quelle aberration... On va achever de perdre les élèves en enseignant une langue vivante dès le CP, alors qu’aucune base n’est encore en place. Le principal obstacle à l’apprentissage des langues vivantes, c’est la fragilité des élèves en français. Quand vous ne savez pas identifier un sujet, un verbe et un complément dans votre propre langue, comment voulez-vous les transposer dans une autre langue ? Quand vous manquez de vocabulaire en français, comment rencontrer un autre lexique ? De toutes façons, ce n’est pas en une heure d’allemand par semaine qu’on apprendra cette seconde langue à des élèves de 5ème… Au moment où la Ministre condamne les enseignants de langue à l’impuissance, on atteint le sommet du ridicule avec la nomination d’un délégué interministériel chargé de la promotion de l’allemand ! Tout cela n’a aucun sens. Soutenons les filières spécifiques qui fonctionnent bien, et pour le reste commençons par revenir à l’essentiel, en augmentant les heures de français ; toutes les études en effet montrent une corrélation entre le temps consacré à l’apprentissage d’une langue et son intégration par les élèves. 

    Pensez-vous que ces nouveaux programmes diminuent l’élitisme de l’école ?

    Je n’aime pas le discours qui s’attaque à un soi-disant « égalitarisme. » L’égalité est au cœur de la mission de l’éducation. L’école devrait offrir à chaque jeune les moyens d’atteindre l’excellence qui lui est propre ; car l’excellence n’est pas uniforme ! J’ai eu la chance d’enseigner en lycée hôtelier, en STI électrotechnique..J’y ai rencontré des élèves excellents dans leur spécialité ! Mais en France, on ne voit la réussite scolaire que comme la mention très bien au bac SPlutôt que de défendre cet élitisme trop étroit, nous devrions nous préoccuper de rétablir une équité réelle dans notre système scolaire, qui est devenu le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE.

    Comment remédier à l’échec scolaire et réduire les inégalités entre élèves, selon vous ?

    C’est tellement simple ! Il suffirait de redire ce qu’est la mission de l’école : transmettre des connaissances. Tout le reste en découle. Aujourd’hui, on perd l’école dans une multiplicité d’objectifs : l’intégration, l’insertion professionnelle, le plaisir des élèves, la lutte contre le sexisme, contre les discriminations et même contre le réchauffement climatique… L’école peut contribuer à tout cela, mais seulement en transmettant le savoir.

    Les nouveaux programmes d’histoire, par exemple, sont victimes d’une instrumentalisation effarante. Comment décider de ce qui, dans notre histoire, est facultatif ? En quatre ans, certains collégiens n’auront jamais entendu parler de la Renaissance ou des Lumières ! En revanche, ils auront tous eu plusieurs occasions de dénigrer la France… La repentance est parfois légitime, mais la confondre avec l’enseignement de l’histoire, c’est une faute contre cette discipline, et un danger pour la société à venir.

    Cette réforme suscite un débat enflammé. Comment réagissez-vous en tant qu’enseignant ? 

    Décidément, ce gouvernement nous a habitué à des méthodes bien peu démocratiques. C’est toujours le même procédé, sur le projet de loi sur le renseignement comme sur la réforme de l’enseignement : un texte est publié, écrit sur commande par des cabinets ou des comités obscurs. Une fois qu’il est diffusé, on propose une concertation – mais en proclamant cependant que pas une virgule ne sera changée ! Dans cette étrange « concertation », il faut croire que seuls ont le droit de s’exprimer ceux qui sont déjà d’accord, car tous les autres sont copieusement insultés. Pour François Hollande, les opposants à cette réforme sont « des immobiles bruyants qui défendent leurs intérêts particuliers. » Ce mépris affiché touche aussi bien des centaines de milliers d’enseignants de terrain, que des grandes figures de la réflexion. S’il est normal qu’une Ministre défende sa réforme, je ne suis pas sûr que l’oeuvre de Madame Vallaud-Belkacem l’autorise à traiter Pascal Bruckner, Alain Finkielkraut, Régis Debray, Danièle Sallenave ou Pierre Nora de « pseudo-intellectuels »… L’expression témoigne d’un sectarisme dramatique. Que n’aurait-on entendu si un Ministre de droite s’était exprimé ainsi !

    Derrière ces débats, voyez-vous une ligne de fracture entre conservateurs et progressistes ?

    Le clivage traditionnel n’est sans doute pas pertinent, puisqu’en matière de déconstruction des savoirs, la gauche s’inscrit malheureusement dans la continuité deerrances de la droite. La vraie ligne de fracture se situe entre ceux qui veulent ouvrir les yeux sur la réalité, et ceux qui préfèrent défendre leurs utopies. En témoigne l’opposition massive des enseignants, ces professionnels de terrain que, semble-t-il, nul n’a songé à écouter dans la préparation de cette réforme… 

    Dans votre ouvrage, vous qualifiez le numérique de « grande utopie pédagogique » qui accomplirait la promesse de Rousseau d’une enfance débarrassé de transmission. Que pensez-vous de la volonté d’y faire entrer l’école ?

    Les enfants n’ont pas eu besoin de l’Education nationale pour maîtriser l’outil numérique... Si l’école veut enseigner la pratique des réseaux sociaux, elle sera toujours dépassée et ringarde dans la course à l’innovation.

    Les nouvelles technologies représentent une chance exceptionnelle d’accéder à la connaissance, que nos prédécesseurs nous envieraient. Mais l’école n’aidera les enfants à tirer le meilleur de ces nouvelles ressources qu’en leur transmettant les savoirs qui construiront leur capacité de recul et de discernement. Et pour cela, il me semble qu’il faudrait qu’elle soit d’abord pour eux un lieu de silence numérique...

    L’enseignant ne doit-il pas évoluer vers un rôle de « facilitateur » ? 

    Depuis quarante ans, on apprend aux futurs enseignants que « tout doit venir de l’apprenant ». Mais personne ne produit seul son savoir ! Même nos capacités de recherche et notre créativité naissent de ce que nous avons reçu. Si Chopin n’avait eu sur son chemin que des « facilitateurs », le monde aurait été privé des Nocturnes. Cela fait quarante ans qu’on assassine des Chopin parmi nos élèvesau nom de ces idées délirantes... La vraie violence éducative consiste à priver les enfants d’héritage, à les laisser prisonniers de l’immédiateté, et à abandonner en eux ces talents en friche qu’aucune culture ne vient plus féconder.

    François-Xavier Bellamy (Pensées pour le jour qui vient, 13 mai 2015)

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  • Les snipers de la semaine... (104)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur le site du Journal du dimanche, Régis Debray dézingue la réforme du collège proposée par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale...

    Régis Debray : "La réforme du collège, un progressisme pour les nuls"

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    Najat Vallaud-Belkacem et Régis Debray

     

    - sur le site du Monde, Jean-Claude Pacitto et Philippe Jourdan flingue avec brio la gauche en révélant sa véritable origine historique...

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    Barras et Cambadélis

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